« Je n’aime pas ma mère. » Très peu d’entre nous peuvent le dire. Les mots sont trop violents, le tabou encore trop fort. « Nous entretenons elle et moi un rapport de politesse, une apparence de relation normale, confie Virginie, 35 ans, réalisatrice de documentaires. Disons que je m’entends avec elle, sans qualificatif. » Tout aussi pudique, Ricardo, 37 ans, architecte, considère qu’il entretient un rapport « cordial » avec la sienne, « mais sans complicité aucune ».
« Une mère, ça reste socialement sacré, assure la sociologue Christine Castelain-Meunier. Entre l’éclatement des cellules familiales, les identités sexuelles et parentales qui se brouillent, nous vivons une période charnière. En pleine perte de repères, on se crispe sur du connu, des choses solides qui ont fait leurs preuves : l’image de la mère traditionnelle est devenue plus intouchable que jamais. » L’idée même est insoutenable : « Se dire que l’on a une mauvaise mère, ça peut détruire, affirme le psychanalyste Alain Braconnier. Vous imaginez, elle vous a donné la vie, elle aurait donc le pouvoir de vous donner la mort… C’est le mythe de Médée, l’infanticide. »
Le thérapeute observe au passage que, dans la plupart des contes de fées, la méchante, c’est toujours la belle-mère : « On a opéré un déplacement nécessaire à l’expression du ressenti. Cela montre combien il est difficile de manifester des sentiments négatifs à l’encontre de sa mère, mais également à quel point ils existent. On reste dans l’ambivalence permanente. »