J'ai relu ses réflexions si émouvantes sur les maisons et les enfants.
Le confinement, me dis-je, ce n'est pas tellement un choc pour les femmes.
Même les plus vagabondes.
Les femmes savent très bien ce que c'est d'être enfermées.
Par expérience, ou par ouï-dire, ou parce qu'il y a des choses qu'on sait de naissance. Les enfants aussi savent ce que c'est de n'avoir pas le droit de sortir.
C'est drôle qu'on n'en parle pas : le ménage, les vitres, la cuisine, la lessive et les courses comme principal horizon, pour une grande moitié du monde ce n'est pas tout à fait une découverte.
Marguerite Duras comparait l'état d'enfance à l'état d'urgence, elle parlait de la guerre comme d'un temps arrêté où l'on dépend davantage de l'Etat, des pouvoirs. De leurs décisions plus ou moins bonnes et à coup sûr patriarcales et paternalistes.
Dans la pandémie, comme dans l'enfance et dans la guerre, on subit.
Il y a dans la guerre et dans l'épidémie, dans les périodes de terreur politique, cette peur d'on ne sait quoi. La peur flotte comme un brouillard froid. On a souvent peur de ne pas avoir eu peur quand il aurait fallu.
Parce qu'il faisait trop beau, et que le soleil fait oublier la peur, comme l'ombre la nourrit. J'écoute ma voisine, Jenny Plocki. Elle dit : dans la guerre, dans la persécution, dans la pandémie aussi, les gens se révèlent. Il y a ceux qui comprennent et les autres. Ceux qui partagent, et les autres. Ceux qui dénoncent et les autres.
La décence et l'indécence se voient mieux.
Jenny est indignée qu'on évoque les deuils impossibles sans rappeler que ce n'est pas nouveau.
Elle cite : Qu'on ne vienne pas me parler de deuil si ce mot signifie que les tiens s'éloignent. Au contraire ils sont à tes côtés pour te donner le courage de vivre et de surmonter les épreuves. Tu peux compter sur eux.
Cette éthique fraternelle, je la retrouve chez Natalia Ginzburg, que je relis sans cesse.
Entre la montée du fascisme, le confinement dans les Abruzzes pour fuir les persécutions, l'assassinat de son mari dans la prison de Regina Coeli, elle a eu toute sa vie le sens de la menace qui pesait sur les siens, et le sens aussi d'une douceur de vivre qu'il fallait éterniser car elle allait se perdre.
Je me répète ces phrases ravissantes de Natalia, comme un mantra : Notre cœur est très fort. Il est fort parce qu’il attend toujours. On ne sait pas ce qu’il attend. Mais il est doté d’une patience infinie. Tout le reste est très fragile. Nous avons l’estomac délicat, la peau délicate, le palais sensible, les nerfs fragiles. Nous avons des insomnies, des tremblements, des cauchemars, des sueurs nocturnes. Mais le cœur n’a jamais rien. Il est très sain. Il avale tout, il digère tout, les éloignements, la solitude, les poisons, les pensées angoissantes, les années horribles. C’est le cœur qui est fort, c’est le cœur.
Attendre, comme dit Duras, avons-nous jamais fait autre chose ?
Geneviève Brisac